Chaque 31 juillet, la Journée internationale de la femme africaine est célébrée à travers le continent. Mais cette date reste encore peu connue et rarement honorée, en particulier en République démocratique du Congo. Pourtant, elle représente bien plus qu’une simple commémoration : elle est l’occasion de raviver les mémoires, d’évaluer les avancées, et surtout de remettre au centre les luttes spécifiques des femmes africaines dans un monde en pleine mutation.
Depuis la Belgique, Julienne Nzugu Feza, militante congolaise engagée pour les droits des femmes, a répondu aux questions de la correspondante de la Radio de la Femme à Lubumbashi. Diplômée en médecine dentaire à l’Université de Kinshasa, elle est également licenciée en politique économique et sociale à Louvain-la-Neuve, en Belgique. Dans son message, elle dresse un constat lucide, critique mais porteur d’espoir.
En RDC, la Journée internationale de la femme africaine est largement éclipsée par celle du 8 mars. Pourtant, la date du 31 juillet , a une histoire et une portée symbolique unique, profondément panafricaine.
« Il y a une nécessité pour nous, femmes africaines, de nous approprier vraiment cette journée. Cette célébration reste largement ignorée. Nous devons faire avancer nos questions particulières au-delà de la dimension mondiale », insiste Julienne Nzugu Feza, appelant à un éveil de conscience collective.
Des valeurs traditionnelles en tension avec la modernité
À la question de savoir si les femmes africaines ont su préserver leurs valeurs dans un contexte dominé par la modernité et les réseaux sociaux, Julienne Nzugu estime qu’il faudrait d’abord définir les valeurs de cette femme africaine pour évaluer si elles sont préservées aujourd’hui. Elle rappelle que la femme africaine traditionnelle occupait un rôle central et respecté dans la société : gardienne des traditions et des pouvoirs spirituels, actrice économique, pilier familial.
« Les femmes africaines étaient économiquement actives. Elles étaient socialement et politiquement respectées.»
Mais aujourd’hui, constate-t-elle, nombre de ces valeurs se sont estompées sous le poids de la modernité mal maîtrisée. La superficialité des réseaux sociaux, les modèles importés et l’érosion des références culturelles profondes ont contribué à une forme d’oubli identitaire chez certaines femmes, surtout en milieu urbain.
Retrouver le pouvoir économique d’hier pour bâtir l’autonomie de demain
Dans les sociétés traditionnelles, la femme avait une place économique de premier plan.
« Elle pouvait cultiver son champ, vendre les produits, organiser l’épargne des ménages, préserver les semences… »
Pour elle, cette gestion était non seulement autonome, mais aussi visionnaire. Chaque femme savait répartir son espace agricole entre cultures pérennes et cultures de survie, assurant ainsi la stabilité du foyer. Aujourd’hui, cette dynamique s’est largement perdue avec l’entrée dans une économie salariale instable ou informelle.
Julienne Nzugu Feza pointe un déséquilibre croissant : si certaines femmes en ville réussissent brillamment, la majorité reste plongée dans la précarité, en raison de la paupérisation des milieux ruraux et du manque d’accompagnement.
« L’économie de la femme traditionnelle était plus puissante que celle de la femme urbaine, qui vit souvent au jour le jour. »
Elle appelle donc à une reconquête de l’autonomie économique, qui passerait par la redécouverte des modèles traditionnels, mais aussi par l’adaptation intelligente aux réalités actuelles
Pour rappel, l’origine de cette journée remonte à la Conférence des femmes africaines, organisée le 31 juillet 1962 à Dar es Salaam, en Tanzanie. À cette occasion, des militantes et dirigeantes venues de plusieurs pays du continent se sont réunies pour réfléchir à la condition des femmes africaines et à leur implication dans les luttes pour l’indépendance et le progrès.
De cette rencontre historique naîtra, un an plus tard, le 31 juillet 1963 à Addis-Abeba en Éthiopie, l’Organisation panafricaine des femmes (OPF). Cette structure jouera un rôle déterminant dans l’institutionnalisation de la Journée internationale de la femme africaine, célébrée chaque année à cette même date.
Ruth Kutemba/ Lubumbashi