Depuis samedi, la ville de Kinshasa vit une épreuve qui, au-delà de la catastrophe naturelle, met à nu l’ampleur des failles dans notre gouvernance urbaine. Une pluie torrentielle s’est abattue sur la capitale, causant des pertes humaines, des destructions matérielles massives et une paralysie généralisée. La rivière Ndjili, débordée, a littéralement divisé la ville en deux. Le district de Tshangu, densément peuplé, se retrouve ainsi coupé du reste de la capitale, faute d’infrastructures alternatives pour relier ses communes au centre-ville.
Ce n’est pas la pluie le vrai problème. C’est notre incapacité chronique à penser et à gérer la ville.
1. Une ville sans colonne vertébrale
Kinshasa fonctionne aujourd’hui comme une immense conurbation chaotique, sans plan d’ensemble, sans vision stratégique. Des quartiers entiers sont construits dans des zones inondables, les caniveaux sont inexistants ou obstrués, les routes sont pensées sans égard pour les flux humains et les urgences climatiques. Un seul pont – celui de Ndjili – assure la jonction entre Tshangu et le reste de la ville. Le voir coupé suffit à isoler des millions d’habitants. Cela, en soi, est inacceptable.
2. Il est temps d’un nouveau plan d’urbanisme
Face à ce désastre récurrent, il ne s’agit plus de réagir, mais de repenser. Kinshasa a besoin d’un plan d’urbanisme radicalement nouveau. Ce plan doit reposer sur trois priorités :
La résilience climatique : cartographier les zones à risque, y interdire les constructions, et créer des bassins de rétention et des circuits de drainage modernes.
La mobilité stratégique : construire des infrastructures de liaison alternatives, notamment d’autres ponts reliant Tshangu à Mont-Amba et Funa.
La décentralisation fonctionnelle : doter chaque district de centres administratifs, économiques et logistiques pour réduire la pression sur le centre-ville.
3. Une gouvernance dépassée par la réalité
La réalité, c’est que la ville-province de Kinshasa est devenue ingérable dans son format actuel. Une seule gouvernance pour une mégalopole de plus de 15 millions d’habitants, c’est une absurdité administrative. Nous devons avoir le courage de poser les vraies questions.
Deux options doivent être mises sur la table :
La division de Kinshasa en quatre provinces distinctes, chacune correspondant à un district actuel (Tshangu, Mont-Amba, Funa, Lukunga). Cela permettrait une gestion de proximité, une planification plus fine, et une meilleure redevabilité des autorités locales.
Ou, à défaut, la mise en place de quatre Vice-gouvernorats, dotés de larges compétences exécutives sur leur territoire, notamment en matière d’urbanisme, d’infrastructure, de gestion des risques et de services sociaux. Le gouverneur deviendrait alors un coordinateur stratégique de l’ensemble métropolitain.
4. Ce que cette crise nous apprend
Cette inondation n’est pas qu’un fait divers météorologique. Elle nous oblige à nous regarder en face. À reconnaître que Kinshasa ne peut plus continuer à se développer au hasard, dans l’oubli des logiques de territoire, d’écologie et de responsabilité politique.
Il est temps d’agir. Pas seulement pour reconstruire un pont, mais pour reconstruire une ville, une gouvernance, et un avenir.
Tribune de : Anicet Senker, chercheur et responsable de recherche et de partenariat de l’école de hautes études politiques et juridiques.