La nouvelle du président Kaguta Museveni qui serait dans le coma dans un hôpital de Kampala est lourd de signification pour la situation sécuritaire et politique de la RD Congo. Qu’il guérisse ou pas, son état d’âge avancé pose déjà la question de sa succession et de son impact dans la sous-région.
Pourquoi ? Cet acteur politique est l’une de deux pièces-maîtresses sur lesquelles s’est basée l’administration américaine pour sous-traiter la direction des affaires intérieures du Congo-Kinshasa depuis Bill Clinton jusqu’à ce jour. Qu’adviendrait-il si sa mort venait d’être confirmée?
Le premier scénario en vue c’est de voir son fils le général Muhoozi Kainerugaba lui succéder et prendre la tête de l’Ouganda, ce pays régi depuis décennies par une dictature féroce et qui ne connaît point d’opposants solides. À ce propos, l’on se souviendra du « Muhoozi Project » divulgué en avril 2013, par le général David Sejusa, ancien conseiller du président et coordinateur des services de renseignements, pour parler d’un plan organisé par le président Museveni visant à assassiner tout haut fonctionnaire s’opposant à une candidature présidentielle de Muhoozi Kainerugaba.
Plusieurs analystes et de nombreux Ougandais avaient compris qu’effectivement le président Museveni voulait déjà en ce moment faire de son fils, le prochain président de l’Ouganda. Les deux opposants civils Bobi Wine et Kizza Besigye qui sont sans soutien militaire ni de grandes foules de sympathisants derrière eux ne font pas le poids face à celui qui a été préparé longuement par son président de père pour exercer le contrôle sur une armée dont il a été commandant en chef des forces terrestres.
Les nombreux clivages ethniques qui caractérisent ce pays et la possible dissidence des têtes couronnées de l’armée contre le rejeton de Museveni considéré par beaucoup d’entre eux comme un fils à papa, alcoolique et imprévisible, peuvent bien déstabiliser ce pays de l’intérieur.
Il est difficile d’affirmer que la probable investiture présidentielle de Muhoozi ouvrira une ère nouvelle dans le jeu politique de la sous-région des Grands-Lacs.
Muhoozi, cet ancien diplômé de l’académie royale militaire de Sandhurst en Angleterre, est bien trempé dans la politique anglo-saxonne de la région interlacustre. De toute vraisemblance, son nouveau pouvoir va pérenniser la politique de son géniteur vis-à-vis de la politique intérieure du Congo-Kinshasa, dans sa volonté de déstabiliser le Nord-Est congolais pour piller l’or et d’autres richesses du sol et du sous-sol.
En juin 2021, Muhoozi Kainerugaba nouvellement nommé commandant en chef de l’armée de terre ougandaise par Yoweri Museveni, commandant en chef de l’armée, il sera missionné en novembre 2021, en République démocratique du Congo pour lancer une opération militaire conjointe, appelée Shujaa, dans l’est de la RDC en vue d’éliminer les Forces démocratiques alliées. Muhoozi Kainerugaba aurait joué un rôle important dans cette campagne
La construction des routes par le génie civil ougandais sur le territoire congolais et tout récemment lors de la visite des parlementaires congolais auprès de Kaguta, la volonté ougandaise de renforcer des partenariats commerciaux avec des provinces congolaises limitrophes et d’installer des consulats à Bunia et à Aru marquent indubitablement la volonté ougandaise de s’installer et de contrôler durablement cette zone.
Toutefois le néo-president ougandais peut ou ne pas réussir la pérennisation de cette politique ougandaise en RDC. Tout dépendra largement de la position diplomatique et militaire que va adopter le voisin Paul Kagame envers ce nouveau venu en politique sous-regionale. Sur ce dernier, Kagame a l’avantage d’avoir la maîtrise de la machine sécuritaire ougandaise où il a travaillé comme responsable de renseignements militaires de l’Armée ougandaise avant de devenir président du Rwanda. Il connaît très bien tous les rouages de l’appareil militaire ougandais et il détient beaucoup de cartes de nuisance entre ses mains.
Quoique le général Muhoozi ( pressentant la fin de règne de son père) ait pris les dispositions de multiplier des visites privées à Kigali auprès de celui qu’il a pris l’habitude d’appeler affectueusement « uncle Kagame », rien ne rassure que Paul Kagame acceptera la montée en puissance du successeur de celui qu’il a toujours traité depuis juin 2000 à la guerre de six jours à Kisangani comme son principal rival pour le contrôle et le pillage des ressources du Congo.
D’autre part, le soutien médiatisé du président Museveni au projet de loi anti-LGTBQ du parlement ougandais peut disqualifier tout simplement l’Ouganda dans son rôle de sous-traitant américain dans la sous-région des Grands-Lacs.
L’adoption de ce projet de loi, le mois dernier, à la quasi-unanimité du Parlement ougandais a déjà déclenché une vague d’arrestations, d’expulsions et d’agressions collectives contre les LGBTQ ougandais, selon des membres de la communauté. Et qui pis est, Yoweri Museveni en a fait son arme de combat contre les forces impérialistes. « L’Europe est perdue. Ils veulent donc que nous soyons perdus, mais pour nous battre, nous devons être patriotes. C’est ainsi que l’on devient une prostituée parce que l’on craint les sacrifices, les difficultés. Quelqu’un vous dit que je vous donnerai de l’argent si vous devenez une prostituée. Et c’est ce qu’ils veulent que nous soyons. Ils veulent que l’Afrique soit une prostituée. Faire ce en quoi nous ne croyons pas parce que nous voulons de l’argent », a ajouté le président de l’Ouganda.
Les réactions dans le monde ne se sont pas fait attendre soit de la part des organisations internationales, soit de la part du Département d’Etat américain qui a organisé ( comme jamais dans le passé) un gay-pride à la Maison Blanche pour faire l’éloge de l’homosexualité. Dans la même foulée, Joe Biden a lancé un fatwa et des menaces claires au régime de Kampala une semaine avant que le président ougandais tombe gravement malade.
Pour nous résumer, deux facteurs seront déterminants dans le maintien du statu quo de cette maffia triangulaire anti congolaise ( USA – Ouganda – Rwanda) comprise comme comme ce relai nécessaire en vue de téléguider la politique intérieure du Congo.
Primo, les intérêts personnels de Kagame en RDC où il aimerait gérer sans plus aucun rival constitueront un des facteurs-clé. Le second, non de moindres, sera bel et bien le dossier hypersensible du projet de loi anti-LGTBQ qui pourra déterminer la nouvelle politique yankee vis-à-vis de l’Ouganda, à moins que le néo-président fasse un rétropédalage pour mettre une croix sur les déviations de son père par rapport à l’ordre établi, aux fins de reconquérir la confiance perdue de son Maitre impérialiste.
Pour ce qui regarde le gouvernement congolais, un quelconque décès confirmé de Kaguta Museveni pourra être perçu comme une corde en moins au cou de Tshisekedi et de Bemba. Le premier ayant fait un grand rapprochement avec Kampala avant la signature de l’Accord de Nairobi et après son investiture présidentielle, en ayant à signer des accords secrets qui se retournent contre la situation sécuritaire de son pays. Jean-Pierre Bemba pourra se réjouir de la disparition d’un « parrain » encombrant qui a fabriqué et armé le MLC comme mouvement d’insurrection militaire. La mort de Museveni va sûrement enterrer beaucoup de secrets compromettants sur Bemba et le dédouaner en quelque sorte devant l’opinion. Les deux acteurs politiques congolais peuvent désormais se sentir les mains libres pour se concentrer sur le seul et unique ennemi qui reste : Paul Kagame.
Dans le contexte de grande grogne intérieure à la stabilité du pouvoir de Kigali où Kagame ne cesse de permuter des officiers par crainte d’un coup d’état, au cas où Tshisekedi et Bemba sont réellement guidés par le seul intérêt supérieur de la Nation et qu’ils réussissent à développer l’intelligence prospective et anticipative de soutenir financièrement les forces d’opposition ougandaise et rwandaise pour neutraliser de l’intérieur les deux dynasties Museveni et Kagame, alors la Rd Congo pourra espérer commencer à voir le bout du tunnel. Dossier à suivre…
Par Gédéon ATIBU