À l’occasion de la Journée mondiale du swahili célébrée le 7 juillet, la Radiodelafemme.net, via sa correspondante Ruth Kutemba à Lubumbashi, s’est entretenue avec Ngoie Kyungu Kiboko Irène, Professeure Associée à l Université de Lubumbashi. Elle partage sa lecture d’une langue à la fois porteuse d’unité, outil de communication quotidien, mais aussi enjeu de reconnaissance académique.
Le kiswahili est sans conteste la langue la plus parlée dans la ville de Lubumbashi et dans les centres urbains du Grand Katanga. Pour professeure Irène Ngoie, il s’agit d’une langue véhiculaire et fédératrice, utilisée dans les écoles, les marchés, les tribunaux de paix et les zones périphériques où le français reste peu maîtrisé. Bien que juridiquement dominé par le français, il est socialement dominant : « Le kiswahili n’appartient à aucune ethnie. C’est ce qui lui donne un pouvoir d’unification », explique-t-elle.
Paradoxalement, la langue subit aussi une stigmatisation, certains la réduisant à une langue « des illettrés ». Pourtant, elle est perçue par d’autres comme langue de pouvoir, de respect et d’identité. À une époque, rappelle-t-elle, parler kiswahili à Kinshasa pouvait même ouvrir certaines portes au sein des institutions.
Cette scientifique s’inquiète de voir l’enseignement du kiswahili standard (ou kiswahili bora) prendre le dessus dans les écoles, au détriment du kiswahili local de Lubumbashi, bien plus représentatif du vécu quotidien des populations. Ce dernier, bien qu’éloigné des normes linguistiques classiques, possède ses propres structures grammaticales. « Le fonctionnement des classes nominales et locatives y est spécifique », souligne-t-elle.
C’est pourquoi cette enseignante milite pour la reconnaissance et l’enseignement de cette variante locale, jusque dans les universités. Ce plaidoyer s’appuie sur un solide parcours scientifique. En 2008, la professeure Irène Ngoie a consacré son DEA à l’alternance codique swahili-français à Lubumbashi: insertion du syntagme nominal. Une étude de la sociolinguistique où le kiswahili est soit la langue matrice ou enchâssée, selon Myers Scotoon (1976).
Sa thèse de doctorat (2015) portait, quant à elle, sur les usages et représentations des langues dans la ville, mettant en évidence les perceptions contrastées du kiswahili selon les locuteurs.
« Certains le dévalorisent, d’autres y voient une langue de politesse, d’autorité, de fierté », résume-t-elle. Ces recherches, menées entre la RDC et la France, offrent une lecture fine des dynamiques linguistiques urbaines et des tensions entre identité locale et pression normative.
Aujourd’hui, professeure Ngoie Kyungu Kiboko Irène, voit dans le kiswahili une langue d’avenir. Elle évoque des étrangers – notamment des ressortissants chinois – qui viennent l’apprendre pour mieux commercer à Lubumbashi.
Récemment publiée, son œuvre consacrée à cette langue arrivera bientôt à Lubumbashi. Elle espère qu’elle contribuera à valoriser le kiswahili comme langue d’enseignement, d’expression culturelle et de cohésion sociale. En célébrant cette Journée mondiale, dit-elle.
Par Ruth Kutemba/ Lubumbashi