Les constitutions ont pour vocation de régler toutes les situations politiques que l’Etat peut expérimenter. Mais si une constitution peut « TOUT » prévoir, c’est qu’elle est faite de la main de Dieu.
Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution le 18 février 2006, il s’est installé un jeu de passe-passe entre la CENI et la Cour constitutionnelle, aboutissant à la prorogation des élections, prétendument pour « cas de force majeure ».
Dans son arrêt R.Const 38/TSR du 15 septembre 2006, la Cour de cassation, faisant office de Cour constitutionnelle, constatait que les opérations électorales étaient impossibles à réaliser dans le délai constitutionnel. Constituant un cas de force majeure, elle a par conséquent autorisé la CENI (CEI à l’époque) à ajourner la date de l’élection dans un délai de 50 jours.
Et si l’histoire se répétait en 2023, resterions-nous en harmonie avec la Constitution ? Il ressort de son article 73 que « l’élection du Président de la République est convoquée par la Commission électorale nationale indépendante dans les quatre-vingt-dix jours suivant la fin du mandat du président en exercice ». À ce jour, cette formalité étant déjà accomplie, l’élection du président de la république doit impérativement se tenir le 20 décembre 2023.
Tout autre démarche tendant à aller à l’encontre de cette disposition, en l’occurrence de procéder à quelconque report des élections prochaines serait une violation manifeste de la Constitution. Si l’on se fie aux rumeurs, il va sans dire qu’une telle initiative de la CENI conduirait vraisemblablement la Cour constitutionnelle à ne pas se dérober de sa
jurisprudence. Mais cette décision ne sera pas sans conséquence tant dans la classe politique que dans l’opinion toute entière.
En effet, quoique fournissant des précisions sur des questions de haute importance pour le
pays, une frange de la population a considéré que certaines décisions de la Cour constitutionnelle ont été des parfaits moyens de contourner la Constitution et de favoriser un « glissement » au mandat du président de la République. Tel a été le cas de l’arrêt R.Const 262 du 11 mai 2016 dont les députés avaient sollicité de la Cour l’interprétation de
l’article 70 alinéa 2 de la Constitution. Ainsi qu’il est prévu qu’« à la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».
Curieusement, bien que relevant « qu’étant clair, l’alinéa 2 de l’article 70 de la Constitution ne nécessite pas, en principe, d’interprétation », la Cour a noté « cependant que de la synthèse du débat général d’avril 2005 sur l’avant-projet de la Constitution, on peut lire qu’après amendement de cet article, « un alinéa a été ajouté pour que le Président de la République sortant puisse rester en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu afin d’éviter le vide institutionnel ».
A la Cour d’ajouter qu’« elle en infère que l’alinéa 2 de l’article permet au Président de la République arrivé fin mandat de demeurer en fonction, en vertu du principe de continuité de l’Etat, jusqu’à l’installation du nouveau Président élu ».
Censées être accueillies comme une parole de l’évangile, ces décisions ont plutôt occasionné
des manifestations publiques très virulentes. Comme pour refléter le sentiment de l’opinion ne se retrouvant plus dans les positions de la haute cour. Au stade actuel, que la sollicitation du report soit un acte délibéré, une démarche insidieuse
des autorités, ou qu’il soit un acte involontaire, l’impossibilité d’organiser les élections parait
irréversible. On entrerait certainement dans une spirale des dispositions constitutionnelles
pour savoir lesquelles d’entre elles devraient s’appliquer dans le cas d’espèce. Malheureusement il n’en existe pas.
Toutefois, il ressort du droit comparé que certains Etats ont surmonté des situations inédites, visant l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics en recourant à des prescriptions étrangères à la leur constitution, en tout cas pas toujours rédigées « noir sur blanc » à l’intérieur de celles-ci. En France elles sont appelées des « normes de référence : en particulier les objectifs de valeur constitutionnelle ». En Angleterre, au Canada ou en Belgique, elles sont appelées, selon la portée qu’on leur donne, des « coutumes constitutionnelles ou des conventions de la Constitution », des « principes généraux de droit
à valeur constitutionnelle » ou encore des simples « usages ou des règles de sagesse politique ».
Au Congo, si l’existence de ces prescriptions est globalement reconnue par la doctrine du droit constitutionnel général, rares sont les cas où l’on cherche à savoir si l’histoire politique a déjà expérimenté l’application des dispositions qui ne sont pas « noir sur blanc » écrites sur la Constitution. Sous notre modeste plume, cette question a été étudiée dans un ouvrage qui sera publié incessamment, analysant la nature juridique des Accords politiques passés en RDC depuis 1878 jusqu’à la toute récente Union sacrée.
En attendant de revenir là-dessus, lorsque le Congo a fait face à certaines situations inédites, non prévues par les textes, il a indéniablement fait recours à des prescriptions ne se trouvant pas dans les textes écrits. Les exemples sont légion : la Conférence de Berlin, la série d’Accords de 1960-1961 : dont le Conclave de Lovanuim réglant la question du
remplacement du premier ministre Lumumba, la Conférence nationale Souveraine, les Accords de Lusaka, de Sun-City ou de Pretoria, les Concertations nationales, l’Accord de la cité de l’OUA, l’Accord de la CENCO, l’Accord FCC-CACH et enfin l’Union sacrée.
Est-il rationnel d’admettre que ces Accords ont fait office de coutume constitutionnelle en droit congolais, c’est-à-dire qu’ils se sont appliqués au même titre que la Constitution ? Par exemple, il ressort de l’Accord de Pretoria que toute constitution de la transition qui allait être adoptée à sa suite devait être conforme à ses dispositions ; sinon qu’elle manquait d’effet. Les dispositions sur la nomination des premiers ministres dans les accords de 1961, à l’époque de la CNS ou des récents accords de 2016, étaient plutôt atypiques, voir contredisaient les différentes constitutions en vigueur.
A la question de la concurrence entre l’application de la m Constitution et les Accords politiques, on ne saura certainement pas répondre de façon exhaustive. La Cour constitutionnelle, dans son arrêt R.Const 622 du 2 février 2018, examinant la
constitutionnalité de la loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil
National de Suivi de l’Accord et du processus électoral, s’est exprimée en des termes relativement univoques.
Ainsi qu’elle a jugé « conforme à la Constitution l’exposé des motifs qui présente le cadre général dans lequel la loi a été initiée par les deux chambres, mis à part le cinquième paragraphe qui pourrait porter à confusion. En effet, libellé tel que : « dans cet accord il a été convenu de mettre en place, avant l’adoption de la présente loi organique une
institution d’appui à la démocratie dénommée Conseil National de Suivi de l’Accord et du processus électoral, en sigle CNSA, conformément à l’article 222, alinéa 3 de la Constitution » ce paragraphe porterait à croire que l’article 222 alinéa 3 de la Constitution permet à une classe politique de se convenir de mettre en place une institution d’appui à la démocratie avant que le parlement ne vote une loi qui l’organise ».
Il en résulte donc, soit la négation totale des coutumes constitutionnelles en droit congolais, soit leur existence sous réserve que le contexte dont il est développé doit être méticuleusement nuancé afin d’éviter la confusion que redoute la cour. C’est pourquoi, ne faisant pas l’objet de l’actuel contentieux, elle a certainement refusé de s’empêtrer dans ce débat. Pour terminer, la réponse adéquate que le droit congolais donnerait à une démarche inédite de la CENI tendant à obtenir le report des élections ne se trouve sans doute pas dans la Constitution. Non seulement que celle-ci est muette face à pareilles épreuves, sauf pour ce qui est des dispositions de l’article 76 en cas de l’élection ayant fait suite à la vacance du Président de la République, mais aussi que la jurisprudence a donné des réponses peu convaincantes à la population.
Bien qu’elles ont servi à légitimer plus ou moins les actions des autorités, il n’en demeure pas moins que la réponse la plus satisfaisante est passée par la voie des Accords politiques, considérés à tort ou à raison comme des coutumes constitutionnelles. Personne n’a jamais expliqué comment ils ont fait l’unanimité, surtout lorsqu’ils ont été caractérisés par
« l’inclusivité »